14 mars 2012.
En accord avec le l'indicateur de position a bord nous
serions tout juste en train de survoler Almaty. Plus précisément, ou du moins
aussi précisément que l'est le dessin approximatif de cet avion à échelle 20
sur une carte au format A5, nous serions entre Almaty et Uruqmi, 10h40 du soir
heure locale. Il fait nuit noire derrière le hublot, je n'ai plus aucune notion
du temps qui a passé. Après un bref calcul j'ai cru pouvoir affirmer avec
certitude qu'il devait être... 17h40 pour mon corps, heure française, puis j'ai
abandonné. J'ai du m'habituer au tarif des décalages horaires: quand il fait
nuit je dors, au premier rayon de soleil je me réveille. Toute autre considération
physique ne faisant plus aucun sens . Je suis dans une grève de réalisme acharnée,
dans un processus automatique d'adaptation inconscient, et cet état temporaire
mais lancinant, auto-infligé et étonnamment bienvenu, est celui la même qui me
pose là, le visage collé contre cette vitre humide, à scruter à son travers le scintillement
d'étoiles inconnues briller dans un noir de jais.
Ce paysage est magnifique, non en réalité il est d'une
terrifiante sorcellerie... insondable. La
couleur du ciel mue, noire bleue
violacée, et d'un coup j'ai envie de me lever et de demander à tout le monde
pourquoi eux aussi ne regardent pas par la fenêtre. Je pense que dans d'autres
circonstances j'aurais été capable de le contempler à l'infini, proportionnellement
à l'infini dont il fait déjà preuve.
Je suis comme totalement asservie, obséquieuse à la beauté intrinsèque de sa grandeur,
son caractère envoûtant, englobeur, protecteur, avaleur d'hommes et de raison, plongé dans un mutisme à la frontière du
terrifiant et de l'excitant. Voilà c'est exactement ça. C'est horriblement
excitant. Ce qu'il y a derrière cette vitre, le monde ignoré par tellement de
passagers en cet instant même aurait de quoi
nous rendre fertile a la déraison, tous autant que nous sommes. Et cette fois
non pas en tant que paysage de beauté, mais en tant qu'univers infini, matière
impalpable mais existante, inhumaine mais créatrice, cercueil infini du nous en
altitude dans l'habituellement inaccessible "nulle part" du
"partout". Je suis au ciel. Littéralement. Mais non, ''Ignorons donc,
ignorons'' qu'ils semblent tous dire, le nez plongé dans leurs écrans
respectifs à regarder Justin Timberlake dans le brand new In Time se faire remplacer par un cascadeur dans le mensonge assumé du cinéma (à chaque fois que le plan montré diffère du
"gros-plan-sur-bouclettes-blondes".)
Je ne suis pas entre Paris et Tokyo, ni
entre Paris et Guang Zhou, je suis dans le ciel au dessus de la Mongolie, dans
un paysage dont le mystère na d'égal que la beauté, j'ai rencontré une personne
aussi belle qu'intelligente, et je suis dans son territoire, sur son terrain,
en plein dans son mystère, dans son ventre fécond de matière a penser, de sujets
a débattre, de sentiments a explorer. Je suis aussi au 7ème ciel de l'hypocrisie intellectuelle: "Le ciel? Bof trop facile, tout le monde connaît". Ce ciel qui vomit inépuisablement
ses secrets sur le dos de ce corps
étranger qu'est notre boeing de ferraille qui viole de ses va et viens l'intimité
de ce magnifique corps noir en expansion.
Cela tandis qu'à l'intérieur de
l'appareil ceux qui s'y trouvent, chanceux ignorant leur condition de privilégiés, ont, impatients, des préoccupations
un peu plus basses: le trône est devenu objet de convoitise principal, et la queue pour ces toilettes se fait plus longue qu'une queue de Japonais devant un temple pour le nouvel an, devant une boutique La Durée ou devant le dernier
train de la yamanote un vendredi soir après un accident voyageur.
En peu de mots, pendre l'avion, c'est fantastique.
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